


Voici trois peintures (Fusain et acrylique) sur papier au format raisin (70 X 50 cm), marouflé sur du bois.
Cette note de lecture de François Huglo va paraître dans la revue "Pages insulaires" (dirigée par Jean-Michel Bongiraud) d'août 2011.
"Pas plus que Serge Wellens, Thomas Duranteau ne peut être suspecté d’anthropomorphisme ou d’anthropocentrisme. Si l’un et l’autre sont en quête, inquiète, d’un humanisme, celui-ci prend le chemin de l’observation, où les plus étrangers parmi les êtres vivants, insectes (résidents) chez Wellens, mouches (Lucilie bouchère) ou chenilles (processionnaires) chez Duranteau, nous révèlent des facettes inaperçues de notre réalité humaine. Gilles Lades note très justement (4ème de couverture) qu’ici « les chenilles sont plus qu’une métaphore » et qu’ « on devine une tension entre l’observation et la dimension visionnaire ». Wellens ne contredirait pas Duranteau quand il suggère que, pour les chenilles, Dieu est un pin, l’alpha de leur naissance « sous l’aisselle d’un cadavre », et l’oméga de leur mort : « À l’autre bout du monde / se tient un pin / qui les attend ». Les « chenilles en exode » rappellent bien sûr la longue marche du peuple de Moïse : « Désert / d’où sortira / le pin venu du ciel ». Des images et réflexions plus chrétiennes sont éveillées par le quatrain : « Des chenilles processionnaires / un soir de résurrection / promènent l’icône d’un pin / qu’elles viennent pourtant de dévaster ». Ou : « Pin couronné / d’aiguilles / de chenilles / de crachats ». Mais la longue procession des chenilles fait surtout songer à l’histoire. Peut-on appeler progrès la marche de l’humanité si celle-ci, semblable aux chenilles qui « se laissent conduire » et « savent l’inutilité de leur révolte », est aveugle, s’arrache les yeux « de peur que la lumière les brûle » ? Si, comme sous le joug d’un darwinisme social, « il n’y a plus le temps pour les écrasées / les reliquats de fausses couches » ? Si les déplacements se font « avec dégoût » ? Plus qu’une épopée, c’est un cauchemar que décrit Duranteau, familier des insomnies de Wellens : « Les aiguilles ingérées / deviennent des membres, / perçant la peau / de leur imagination // Elles se font mal de ces pensées ». Ou : « Cauchemar / d’une chenille qui parle / une langue d’arbre ». Et plus qu’à un progrès, on songe à un cycle où mort et vie se nourrissent l’une de l’autre. Ainsi les chenilles coupent-elles « l’herbe sous les pieds » de la forêt dont elles vivent. Leur « route de la soie » tisse « un linceul ». Cette soie n’est que « fil à peur », celle des « poilus avant l’assaut ». Progrès ou cycle, l’histoire a « la saveur ordinaire des massacres de masse ». Mais dans le « cocon vide », le poète voit « l’histoire d’un peuple / qui en silence / ressuscite ». Et comme en clin d’œil à la « concordance des temps » de Wellens, Duranteau voit dans le fil à soie, à la pointe de l’aiguille de pin, « l’Armistice / de la fin des temps ». "
"l’histoire d’un peuple
qui en silence
ressuscite"."
Gilles Lades
"Ruine de la deuxième pierre"
(extraits du recueil Gastrolithes)
Ruine posée au bord des routes
pour dire l’absence
photo laissée à la poussière
Serrer trop fort
l’ombre d’une empreinte
*
Maison abandonnée
qui détient le pouvoir
des objets autonomes
prolonger
le coma du silence
Maison cachant
par des volets de lierre
ses poutres à pigeons
et sa poussière sereine
*
Chercher à tout prix
à voir l’intérieur
entre les jambes de l’abandon
avant démolition
ou plus
avant l’oubli
Qui d’autres
portera cette charge ?
La tour prend parfois
son origine
dans une main
ouverte au ciel
*
Tour puisqu’il faut la nommer
pierre puisqu’il faut la bâtir
sur qui s’étend le souffle
et la matière
*
La tour dépose
les armes des saisons
D’elle-même
la marée recule
l’herbe devient friche
*
À perte de vue
une terre sans grain
où l’homme pourrait naître
Tour
prémisse du trait
vestige de la première pierre
*
La tour
armée de son nuage
raille
ses mollets de carrière
les contreforts du silence
*
Tour d’où s’envolent
cigognes et sorcières
Qu’une pierre suffise
à retenir le pas
et par là-même
la descendance
*
Ne pas savoir
qui du puits
qui de la tour
est le reflet de l’autre
Un oiseau en forme de bouche
traverse
la pesanteur de la pierre