mardi 28 décembre 2010

Lettre à David Dumortier sur "Les bateaux qui parlent"


Voici une lettre adressée à David Dumortier dans le cadre du concours "Lecteurs, Passeurs d'envies" 2010 organisé par le Centre du livre et de la lecture du Poitou Charentes. Il fallait donner envie de lire son livre "Les bateaux qui parlent" (Cheyne, 2010). Ce texte fait partie des lauréats.


"Hassi Messaoud,

le 25 octobre 2010,


Salam aleikoum, cher David,


On ne dit « cher » qu’aux gens qu’on aime et quelqu’un qui parle avec les bateaux ne peut pas être mauvais. C’est pourquoi je me permets de vous écrire de Hassi Messaoud. Vous ne connaissez peut-être pas cette ville du centre de l’Algérie où j’ai toujours vécu et d’où je ne suis jamais parti. Je ne connais rien à la mer si ce n’est des étendues bleues sur le globe de la classe où mon père est venu me chercher à douze ans pour me faire travailler comme mes frères. De grandes langues bleues prêtes à manger des continents sur la défensive et prêtes aussi à raconter le monde si tant est qu’on les écoute. Si les bateaux parlent, moi, le soir, j’imagine leur langue en entendant cet écho que le sable cherche à nier. C’est certainement une « langue secrète » comme celle de vos « penettes de Bretagne ».


Parmi les noms de bateaux, j’ai particulièrement retenu celui du pétrolier, peut-être simplement parce que vous dites que personne ne l’aime. Dans mon désert, on ne parle que de pétrole et de gaz. Si vous comparez au sang le pétrole, je me trouve dans le cœur et des artères métalliques géantes envoient ces globules noirs au loin vers des villes comme les vôtres. L’usine de forage, qui se trouve près de mon quartier et où je travaille, est certainement comparable à ces « cargos » – comme vous dites – que la mer aurait confiés au sable. À moins que ce ne soit plutôt un bateau phare avec la grande tour de forage ou la torchère qui se dresse tel un prophète au milieu du désert. Mais, nul n’est prophète en son pays. Peut-être est-ce pour cela que l’usine-bateau préfère envoyer son pétrole ailleurs.


Tous ces bateaux dont vous parlez, bien sûr je ne les ai jamais vus. Je ne sais pas à quoi ils ressemblent, ni leurs formes, ni leurs couleurs. Je suis comme cette petite fille – dans votre livre – qui n’a jamais vu de péniche passez devant chez elle. Je ne connais même pas les noms de la plupart de ces bateaux mais je me laisse porter par toutes ces sonorités exotiques : gabare, kayak, yole, sampan. Je m’imagine alors des dynasties royales qui ont conservé un pouvoir sur les éléments. Je m’imagine des noms de princes qui portent comme seul insigne la mer en chèche autour de leur cou. Peut-être même des dieux anciens que l’on aurait oubliés et qui reviendraient d’un autre temps reprendre une place parmi nous. Les mots ont un pouvoir et vous le savez, vous qui parlez d’un « trait sur une page blanche », de « chanson de l’eau » , de dictionnaire ou de bateaux qui se lisent à l’envers.


Les poètes ont ça d’étonnant, ils émiettent les phrases et les mots tout en donnant plus de poids, plus de densité à ce qu’ils conservent. Parcours de funambule que celui de l’écrivain ajustant par petites touches le mot et la marge, sachant que le silence relie les mots comme l’eau entre les berges d’un estuaire. Fil tendu qui ajuste l’homme avec soi-même, ouvrant le regard par le travail invisible du vent et de l’écriture. On a l’impression que les mots ont été « roulé[s] dans ses vagues » comme votre chalutier bleu. Le désert agit de même pour les hommes et les choses. Il les roule sans vraiment que l’on sache s’il les berce ou s’il les transporte. Sans que l’on sache non plus vers où.


« C’est surtout l’idée de partir qui doit faire son chemin ». Je me rend compte, en vous lisant, à quel point j’ai toujours porté ce vers au fond de moi. Vous m’avez donné le goût du sel sur les lèvres mais surtout vous avez révélé mon envie de partir. Quels qu’en soient les risques, je quitterai ce pays même s’il faut que cela se fasse dans la clandestinité. Je ne sais pas quel bateau sera là à m’attendre dans le port d’Al Djazair. Je ne sais pas s’il faut mieux un pointu de Méditerranée – qui connaît les lieux – ou un sauterellier pour échapper aux mains de la police maritime ou bien même un radeau dans la miséricorde d’Allah. Je me plais également à m’imaginer quittant le pays en youyou comme si les cris de joie des femmes de mon pays m’accompagnaient et m’encourageaient dans cette aventure. Puisse mon nom « serviteur de l’Indulgent » dans tous les cas bien être porté.


Je ne fuis pas l’Algérie ni l’aridité de son désert. Je l’emporte avec moi. Où que j’aille sur cette terre, ma parole portera des grains de sable qui se surprendront même à germer. Un jour proche viendra où dunes et chameaux de papier plié rejoindront vos bateaux en origami. Ils se parleront du monde avec le silence de ceux qui s’aiment vraiment. Dans la joie de ces retrouvailles, qui osera alors me dire sans papiers ?


Abdelhalim"

(alias Thomas Duranteau)

samedi 18 décembre 2010

Peintures sur kraft II


"Tenu par le pied", fusain et acrylique, 99 X 99 cm

"La sainte famille", fusain et acrylique, 130 X 90 cm

"Femme ardente", fusain et acrylique, 90 X 95 cm

"Femme d'eau", fusain et acrylique, 98 X 85 cm