mardi 19 octobre 2010

Hommage à Serge Wellens (15 octobre 2010 - Salle de l'Oratoire à La Rochelle)


Quand Annie (Wellens) m’a proposé de participer à cette soirée-hommage, je me suis dit que ça serait l’occasion d’affirmer à quel point Serge a été important dans ma vie et dans ma vocation de poète. Et je sais aujourd’hui que le fait de continuer à écrire et le contenu de mes écrits doivent beaucoup à son amitié.

J’ai rencontré Serge pour la première fois, alors que j’avais 17 ans et qu’il en avait 69. J’avais appris qu’il écrivait de la poésie sans l’avoir encore lue. Sa figure accueillante me permit facilement de faire le premier pas pour lui montrer mes premiers poèmes très classiques, collectionnant les fautes d’orthographe autant que les rimes, textes écrits à la main sur un cahier petit format. Je me rappellerai longtemps cette première rencontre au Puits de Jacob où Serge a pris soin de lire chacun de mes textes devant moi avec beaucoup de sérieux et de bienveillance. Gommant vite ma première appréhension, Serge a tout de suite été dans l’encouragement, valorisant ce qui pouvait l’être dans ces premiers écrits d’adolescent. Il a sollicité l’écriture, me demandant de lui montrer rapidement d’autres textes, m’invitant à essayer d’écrire en vers libres. Ce que je fis dès la porte du Puits de Jacob refermée, découvrant alors la richesse offerte par cette liberté. Ce n’est pas sans bonheur que je revenais, quelques jours après, avec mes premiers poèmes en vers libres, lui expliquant à quel point cela avait favorisé une écriture qui coulait plus facilement. Il savait transmettre cette invitation au mystère de l’écriture. Sans doute, cela n’est pas étranger à ce qu’il évoque dans le poème « Celui qui parle en dormant » :
« Au raclement de gorge de la nuit
il ajoute des mots
nuageux
informels

des mots qui ne sont
dans aucun dictionnaire

il parle couramment
une langue étrangère
mais ne la comprend pas »


Régulièrement, les lundis après-midi, jour où Serge était présent à la librairie, je me retrouvais donc assis près du bureau servant de caisse, écoutant de façon attentive ses remarques. Serge mettait en avant les images qu’il trouvait intéressantes m’expliquant ce qui lui plaisait dans mes poèmes : parfois un seul vers ou le rapprochement de deux mots. Au contraire, il pouvait souligner quelques tournures qui lui parlaient moins, des enchainements de syllabes difficiles à prononcer. Il faisait à l’occasion référence à d’autres poètes, me parlant par exemple de Guillevic et de sa méfiance envers les adjectifs. Il parlait d’exigence, de relecture et de travail. Cela se faisait toujours avec un grand respect des textes et avec beaucoup de délicatesse. Sa manière d’approcher mes écrits restent pour moi un modèle. Je repense régulièrement au regard bienveillant et constructif de Serge sur mes écrits et je tente modestement de ne pas trop démériter de cet enseignement.

Les temps de rencontres avec Serge étaient également l’occasion de parler de poésie contemporaine, moi qui ne connaissais pas grand-chose à la poésie et qui terminais un bac scientifique. Il me parla des poètes plus classiques, de l’importance du surréalisme, des poètes de l’école de Rochefort, de ses amis, des poètes qu’il aimait lire, de ceux qu’il aimait moins, de revues, de publications... Ainsi, j’ai tracé mon parcours à travers des entretiens très riches où j’approchais, par les souvenirs de rencontres ou de lectures, des poètes comme Cadou, Breton, Guillevic, Rousselot, Michaux, Reverdy, Manoll, Baudry, Fombeure, Mazo, Bouhier, Mathé, Max Jacob, volontairement dans le désordre et de façon bien sûr non exhaustive. Tout cela empreint d’anecdotes, depuis la main refusée à Aragon jusqu’à Guillevic et ses rapports aux femmes. Tout cela empreint aussi de moments plus intenses comme Rousselot lisant encore des poèmes pendant les derniers mois de sa vie, malgré la maladie ou la mort d’autres amis poètes parmi lesquels Brindeau, Chinonis, Dubacq.

L’accompagnement ne s’arrêtait pas aux discussions. Serge organisait également des déplacements vers Rochefort-sur-Loire et ses environs, où avaient lieu régulièrement des rencontres de poésie. C’était là aussi l’occasion de partage avec les autres poètes rochelais avec qui nous covoiturions, mais également avec les poètes venant à ces rencontres. Tout cela m’a permis d’associer profondément la convivialité et l’écriture poétique. La simplicité avec laquelle tous ces poètes publiés partageaient leur temps était une vraie richesse. Ce fut pour moi de vraies leçons de vie et la conviction rapide que la diffusion restreinte de la poésie pouvait aussi être vécue comme une chance permettant souvent un contact simple et chaleureux. Pas de bestsellers et donc pas de stars en poésie mais des amitiés solides.

C’est avec une grande fidélité que Serge se tenait au courant de mon évolution en poésie me demandant « Qu’est-ce que tu écris en ce moment ? » et m’incitant régulièrement à lui envoyer mes derniers poèmes. Ses réponses ont toujours été pour moi des encouragements et des signes de confiance dans les moments de doute et de difficultés à faire éditer de la poésie. Face à ma bibliothèque, je me nourris des histoires qu’il m’a racontées et des moments vécus ensemble. Entre les revues ou livres offerts et les souvenirs associés aux noms de poètes, je voyage rarement seul dans cette forêt de livres. La voix qui m’accompagne alors aime plaisanter, aime rire. Et cela, même quand elle parle de la mort avec un peu trop d’insistance pour ne pas cacher quelques peurs bien humaines. Peut-être y reconnaîtrons-nous ces tourterelles dont parle Serge et qui, je cite :
« viennent quelquefois
leur donner des nouvelles
bonnes ou mauvaises
de leurs morts. »

De son amitié, deux impressions me restent enfin, qui ne sont paradoxales qu’en apparence. Serge m’a véritablement appris ce qu’était « vivre en poésie », prouvant, par sa vie quotidienne et les rencontres, combien l’activité d’écrire pouvait nourrir l’humain dans ce qu’il y a de plus profond et de plus spirituel. Et en même temps, il n’a jamais manqué de me montrer à quel point l’humour, la dérision, la légèreté et le recul sur ses propres écrits étaient aussi partie prenante de la poésie. Sa convivialité, sa modestie et son savoir-rire étaient à la hauteur de son grand talent de poète. Serge semble conclure, toujours dans son dernier recueil :
« J’écrirai sur le sable
un poème sans fin
pour célébrer la vie. »

Nous sommes nombreux à aimer nous faire petits pour rentrer dans la fourmilière où il est un poète important. Cela uniquement pour tendre l’oreille à la rouille heureuse des mots que Serge nous a laissés, et à ressentir aujourd’hui à quel point ses poèmes célèbrent la mémoire de son sourire autant que la vie.

mardi 5 octobre 2010

Poèmes dans la revue "Inédit nouveau" (n° 245, octobre 2010)

Des poèmes extraits de la troisième partie du recueil inédit Gastrolithes "Puits né de la dernière pierre" viennent d'être publiés dans la revue belge Inédit nouveau dirigée par Paul Van Melle (11 avenue du Chant d'Oiseaux, 1310 La Hulpe, Belgique). Voici quelques extraits :


Le puits ne connaît pas
le sens du vent
ni le temps que met le soir
pour nourrir par bouchées
les pierres gisantes
sur son lit


*


Pierre lourde
emmaillotée de nos doutes
jetée là
pour mesurer les profondeurs
pour faire vomir le passé


*


Puits
bouche à nourrir
oreille où chuchoter
œil où refléter
nos entrailles ouvertes


*


On dirait que le puits
s’est creusé de lui-même
par la pluie la marée
les mains serrées
autour du cou de la terre


*


Couvrir des mains
un brin d’herbe
le réchauffer d’une haleine
comme s’il avait parlé
comme si son silence
avait plus de poids
encore