vendredi 24 juin 2011

Note de lecture de François Huglo sur "Processionnaires"

Cette note de lecture de François Huglo va paraître dans la revue "Pages insulaires" (dirigée par Jean-Michel Bongiraud) d'août 2011.


"Pas plus que Serge Wellens, Thomas Duranteau ne peut être suspecté d’anthropomorphisme ou d’anthropocentrisme. Si l’un et l’autre sont en quête, inquiète, d’un humanisme, celui-ci prend le chemin de l’observation, où les plus étrangers parmi les êtres vivants, insectes (résidents) chez Wellens, mouches (Lucilie bouchère) ou chenilles (processionnaires) chez Duranteau, nous révèlent des facettes inaperçues de notre réalité humaine. Gilles Lades note très justement (4ème de couverture) qu’ici « les chenilles sont plus qu’une métaphore » et qu’ « on devine une tension entre l’observation et la dimension visionnaire ». Wellens ne contredirait pas Duranteau quand il suggère que, pour les chenilles, Dieu est un pin, l’alpha de leur naissance « sous l’aisselle d’un cadavre », et l’oméga de leur mort : « À l’autre bout du monde / se tient un pin / qui les attend ». Les « chenilles en exode » rappellent bien sûr la longue marche du peuple de Moïse : « Désert / d’où sortira / le pin venu du ciel ». Des images et réflexions plus chrétiennes sont éveillées par le quatrain : « Des chenilles processionnaires / un soir de résurrection / promènent l’icône d’un pin / qu’elles viennent pourtant de dévaster ». Ou : « Pin couronné / d’aiguilles / de chenilles / de crachats ». Mais la longue procession des chenilles fait surtout songer à l’histoire. Peut-on appeler progrès la marche de l’humanité si celle-ci, semblable aux chenilles qui « se laissent conduire » et « savent l’inutilité de leur révolte », est aveugle, s’arrache les yeux « de peur que la lumière les brûle » ? Si, comme sous le joug d’un darwinisme social, « il n’y a plus le temps pour les écrasées / les reliquats de fausses couches » ? Si les déplacements se font « avec dégoût » ? Plus qu’une épopée, c’est un cauchemar que décrit Duranteau, familier des insomnies de Wellens : « Les aiguilles ingérées / deviennent des membres, / perçant la peau / de leur imagination // Elles se font mal de ces pensées ». Ou : « Cauchemar / d’une chenille qui parle / une langue d’arbre ». Et plus qu’à un progrès, on songe à un cycle où mort et vie se nourrissent l’une de l’autre. Ainsi les chenilles coupent-elles « l’herbe sous les pieds » de la forêt dont elles vivent. Leur « route de la soie » tisse « un linceul ». Cette soie n’est que « fil à peur », celle des « poilus avant l’assaut ». Progrès ou cycle, l’histoire a « la saveur ordinaire des massacres de masse ». Mais dans le « cocon vide », le poète voit « l’histoire d’un peuple / qui en silence / ressuscite ». Et comme en clin d’œil à la « concordance des temps » de Wellens, Duranteau voit dans le fil à soie, à la pointe de l’aiguille de pin, « l’Armistice / de la fin des temps ». "

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