dimanche 26 septembre 2010

Note de lecture de Gilles Lades sur "L'apétit de la mort"

« Cet ouvrage sur la mort que l’on se donne n’est pas un traité sur le suicide, ni un sinistre inventaire des différentes manières de se suicider. Mais c’est tout de même un inventaire de cas où la pulsion de mort a trouvé, aurait trouvé à se satisfaire. D’où un classement (se noyer, se pendre, se tirer une balle,…) Le tragique est que cela « a eu lieu », et que l’on suit le cheminement fatal de l’idée, ou de l’acte, qui ne font plus qu’un.
Le dernier vers a souvent un terrible retentissement explicatif (à propos du poison : « Par ta bouche/ tu as voulu finir/ ce qui n’avait pu commencer » : quel amour, quelle parole placer dans « ce qui n’avait pu commencer » ?). La force de ces poèmes est de suggérer le terrible qui explique cet acte terrible. Et c’est alors que surgit la blessure la plus vive :
« Tu avais gardé le visage rose/ d’une enfance encombrante ».
Souvent, le psychologique et le métaphysique se rejoignent. Par exemple :
« Colère divine/ que d’engloutir le regard /de ceux qui ne regardent plus ».
Le suicide broie les perspectives avec une ironie tragique. De tel idéaliste suicidé par défenestration, il est dit :
« Pour toi / la hauteur seule/ donnait signe et perspective ».
Cette ironie tragique se joue des apparences, comme dans ce sinistre échange de formes (pour une personne morte dans un accident) :
« le bois offre à l’acier/ le privilège/ de la dernière demeure ».
Dans ces textes brefs, le lecteur doit remonter tout l’espace du sous-entendu. Avec le poète, nous entrons dans le processus des derniers instants.
Souvent, l’ambiguïté est une cruauté de plus : comment interpréter « nourricier » dans « le retour nourricier de la voiture contre l’arbre et la terre ? »
L’exiguïté de la forme suggère l’enfermement et le tragique de l’enfermement :
« Tu te savais/ tête et bras/ codétenus ».
L’on ne sait ce qui est le plus insoutenable, de l’horreur en pleine lumière, ou de l’indifférence :
« Je préfère imaginer/ la couleur des wagons/ le sourire morne/ des passagers ».
Devant cette puissance aussi redoutable qu’impossible à localiser, le poète lance son infatigable lucidité, comme un explorateur que sauve chaque nouveau pas. »

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