mercredi 24 février 2010

Note de lecture de François Huglo sur "L'appétit de la mort" (février 2010)

Cette note de lecture sera publiée dans la revue Pages insulaires (en avril 2010) dirigée par Jean-Michel Bongiraud (que l'auteur de cette note et l'éditeur de la revue soient ici remerciés de m'avoir laissé reproduire ce texte).
« On reste durablement bouleversé par un tel recueil, un tel poème, pourrait-on dire aussi, car la page d’une strophe ou deux peut être lue pour elle-même ou comme élément d’un ensemble. Stations multiples d’un seul chemin de croix ? Le livre est composé d’un poème unique, affrontant à plusieurs reprises le suicide sous sept formes : l’empoisonnement, la noyade, la défenestration, la pendaison, l’entaille d’une veine, le choc d’un véhicule contre un arbre, l’écrasement par un train. Chacune de ces formes correspond à un péché capital qualifié de divin dans une phrase elliptique, et cette absence de verbe laisse au lecteur le choix de l’interprétation, selon qu’il opte pour l’indicatif ou pour le conditionnel. Lisant
« Envie divine
que de refuser
qu’un autre touche les cieux
»,
celui qui comprend « c’est envie divine » développe l’hypothèse d’un Dieu jaloux, mais lire « ce serait envie divine » suppose qu’il ne l’est pas, qu’il ne peut l’être. Cette hésitation, ou cette ambigüité, entre blasphème, cri de révolte, et foi, semble levée dans les trois pages finales, extraordinairement denses, où le suicide est magnifié, ou du moins assumé, comme expression de la liberté humaine et de la malléable disponibilité de la matière, cette « chance de la glaise » qui, dans le récit biblique, nous a façonnés, et qui accueille les corps sans vie.
Refusant toute fascination morbide, le regard posé sur le corps suicidé, ou sur ses restes, remonte du juste après au juste avant, pour retrouver le geste, sympathiser avec lui, mais l’accompagner l’aurait peut-être évité, tenir la main l’aurait peut-être retenue. Reste le geste fraternel, mais posthume, du poème qui se place dans une situation extrême, celle d’opposer au désir d’en finir ce désir de commencer qu’est toute prise de parole, toute rupture du silence, toute proposition langagière, orale ou écrite, puisque le commencement est le verbe prenant chair. Ni verbeux, ni décharnés, les poèmes de Thomas Duranteau sont fermes et parfaitement définis : définitifs, cueillis à leur juste maturité, de même que ceux de Serge Wellens n’étaient accueillis sur leur page qu’après avoir été roulés, longuement roulés, polis dans l’oreille comme par une mer intérieure.
Faut-il parler de filiation ? De fraternité plutôt, chacun des deux poètes reconnaissant dans l’autre sa propre exigence. Ni chez Duranteau ni chez Wellens, le verbe ne naît du verbe. Il affronte, au contraire, ce qui risquait de l’anéantir. Serge Wellens, qui avait préfacé Lucilie bouchère, salue en quatrième de couverture ce second recueil qui va plus loin dans la même direction. Sur cette voie, le poète chemine en compagnie de huit créations originales de Lydie Arickx. Sans redondance, au même niveau d’exigence et de sympathie, poésie et art contemporain dialoguent ici pour la plus grande joie du lecteur. »

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